L’Hémochromatose, c’est quoi ? Demandez lors d’un micro trottoir. Personne ne sait. Voilà pourtant la première maladie génétique puisqu’elle atteint 1 personne sur 200. Elle peut toucher un ou plusieurs membres d’une famille, mais les gens ne le savent pas. Ils ne la découvrent souvent que trop tard, entre 50 et 70 ans, face à des complications qui peuvent causer des handicaps graves. 2 000 personnes en meurent précocement. La découverte d’un cas doit pousser au dépistage dans la famille.
Entrons dans le vif du sujet: L’hémochromatose (des deux mots grecs “haïma” le sang, et “khrôma” la couleur) est la maladie de la surcharge en fer. On l’a appelée cirrhose pigmentaire ou bronzée ou encore diabète bronzé, car la personne atteinte peut être diabétique et avoir un teint bronzé (mélanodermie) du fait de la surcharge en fer. Cette surcharge, on la trouve dans divers organes ou tissus de l’organisme : le foie d’abord, le pancréas, le cœur, les glandes endocrines, les articulations et même la peau. Elle est héréditaire, donc génétique. Il faut absolument la découvrir le plus tôt possible, ce qui permet d’éviter des complications graves, telle le cancer du foie.
La cause est une mutation au niveau d’un gène HFE (High Fe Gene) qui ne fabrique plus l’hormone régulatrice du métabolisme du fer : “l’hepcidine”.
Nos gènes définissent un caractère particulier sur tel ou tel chromosome. Le positionnement du gène sur le chromosome est appelé locus. Chaque locus est un emplacement précis et invariable sur le chromosome. Toute modification ou mutation au niveau du locus porteur du gène crée une modification de caractéristique, laquelle devient héréditaire. Le gène “HFE” permet au foie de fabriquer une protéine [1] qui a une fonction hormonale [2] précise nommée hepcidine. Celle-ci régule le métabolisme du fer apporté à l’organisme par l’alimentation. Ce gène est porté par le bras court du chromosome 6 [3].
Chez les patients hémochromatosiques, les spécialistes ont trouvé une mutation (découverte en 1996 par le Pr JN Feder, en Californie) au niveau du locus porteur du gène HFE sur le chromosome 6. Cette mutation correspond au remplacement d’un acide aminé, la cystéine, par un autre, la tyrosine, en position 282 de la protéine [4] fabriquée selon le code donné par le gène HFE. Les spécialistes parlent de la mutation du gène HFE en C282Y. Ainsi, le foie des patients atteints d’hémochromatose ne secrète pas l’hepcidine. Or cette hormone secrétée par le foie contrôle, limite normalement l’absorption du fer par le duodénum (première partie de l’intestin). Si elle manque, le fer va être absorbé en excès.
L’hepcidine est donc au fer et à l’hémochromatose ce que l’insuline est au sucre et au diabète [5]. Si l’insuline manque, la glycémie monte ; si l’hepcidine manque, le taux de fer dans le sang monte.
C’est en 2001 qu’une des équipes des Pr Axel Kahn et Pierre Brissot a détecté le rôle de cette hormone dans l’hémochromatose. Cette maladie peut donc être héréditaire. On a repéré une autre mutation sur le chromosome 6, c’est la mutation H63D qui signifie le remplacement d’un acide aminé, l’histidine, par un autre, l’acide aspartique, en position 63 de la protéine codée par le gène HFE.
La personne est dite homozygote [6] pour ce gène muté si les 2 allèles [7] portent la mutation. Elle est dite hétérozygote si 1 seul des 2 allèles porte la mutation.
Ainsi les personnes homozygotes porteuses des mutations C282Y (90 %) et H63D ont des risques forts d’être atteintes d’hémochromatose. La maladie se déclare à des âges variables et l’important est de faire le diagnostic le plus tôt possible pour éviter les complications tardives.
Les hétérozygotes n’auront pas la maladie mais sont transmetteurs dans leur descendance. Si père et mère sont hétérozygotes, statistiquement 1 enfant sur 4 sera homozygote et donc malade. Les spécialistes ont détecté aussi des personnes hétérozygotes composites ayant les deux mutations C282Y et H63D (5 %). Chez ces sujets la surcharge en fer est moindre sauf si l’alcoolisme est présent.
Un peu d’histoire pour mieux comprendre
Les chercheurs pensent qu’aux alentours de l’an 900, un Celte a muté sur le chromosome 6 au niveau du locus porteur du gène HFE. Voilà pourquoi l’hémochromatose est plus fréquente en Europe du Nord, en Bretagne, au pays Basque et en Irlande en particulier, que dans le reste de la France. Le CHU de Rennes est le centre spécialisé. Les habitants de ces régions et pays ont beaucoup bougé, ce qui permet d’expliquer l’augmentation du nombre de personnes atteintes un peu partout dans notre pays.
En 2004, la fréquence des personnes homozygotes C282Y variait de 0,2 à 0,8 % en France, pour une moyenne calculée de 0,5 %. Le nombre exact de malades n’est pas connu. Première maladie génétique en France, elle atteint 1 Français sur 200, soit environ 312 000 patients en France, 2,2 millions en Europe, 2 millions aux USA.
Les hommes porteurs de l’anomalie génétique développent la maladie dans 50 a` 70 % des cas contre seulement 40 a` 50 % des femmes.
Le rôle du fer dans notre organisme et celui de l’hepcidine fabriquée par le foie
Le Pr Henri Michel, président de l’association « Hémochromatose France [8] », précise :
« Un sujet normal possède 4 g de fer, répartis entre l’hémoglobine des globules rouges (2 %), la myoglobine des muscles (20 %), les globules blancs macrophages (10 %), la ferritine (protéine qui stocke le fer dans le foie, la rate et la moelle osseuse) et l’hémosidérine (contenue dans les globules blancs macrophages). Chez un sujet normal, tous les jours, 20 mg de fer sont apportés par l’alimentation, seuls 1 à mg sont absorbés grâce à l’hepcidine, le reste est rejeté dans le tube digestif, la sueur, l’urine. Ce fer absorbé est transporté par la transferrine (elle transporte normalement le fer à la moelle osseuse pour la fabrication des globules du sang). Elle est chargée à 30 %. »
Henri Michel explique ce qui se passe quand l’hepcidine n’est plus présente :
« Chez les patients atteints d’hémochromatose héréditaire, l’absence d’hepcidine due à la mutation génétique fait que 5 à 8 mg sont absorbés tous les jours. La transferrine transporte donc une plus grande quantité de fer (80 à 100 %), elle est saturée à 80-100 %. Le fer s’accumule tous les jours un peu plus dans tous les organes et les altère progressivement. De ce fait, le taux de ferritine dans le sang (ferritinémie qui représente le stock de fer) augmente et passe de 300 ng/ml à 1000 ng/ml, puis 3 000, 5000… avec l’âge, ce qui correspond à une surcharge en fer de 10 à 40 g. Le fer libre, non transporté par la transferrine, est toxique et provoque des réactions d’oxydoréduction (vieillissement prématuré) avec destruction cellulaire, qui finissent par altérer le fonctionnement des organes surchargés de fer ».
Ainsi, quand l’hepcidine manque, tout se passe comme si l’organisme voulait augmenter l’absorption du fer, parce qu’il serait carencé en fer.
Pourquoi le diagnostic est trop tardif : les signes articulaires associés à ceux du diabète doivent faire penser à l’hémochromatose
Les troubles articulaires sont au niveau des doigts (2e et 3e), en particulier des articulations des premières phalanges, mais aussi au niveau des poignets, du pouce. Le radiologue observe des calcifications sur les cartilages articulaires. On parle souvent de chondrocalcinose [9]. Face à ces signes cliniques ou radiologiques, il faut systématiquement rechercher une hémochromatose. Parmi les rhumatisants, 2 % d’entre eux sont des patients hémochromatosiques, il faut le rappeler amicalement aux rhumatologues.
On doit penser à l’hémochromatose face aux signes suivants chez un sujet jeune, autour de 20-35 ans.
Comme le dit le Pr H. Michel,
« L’hémochromatose héréditaire est souvent une maladie silencieuse qui avance masquée. » En effet, le patient est trop jeune pour avoir « De la fatigue permanente inexpliquée; des douleurs articulaires surtout des 2e et 3e doigts (poignée de main douloureuse); des troubles sexuels (de l’érection, de la libido, aménorrhée); une gêne cardio-respiratoire au moindre effort; une hypertransaminasémie ou une hyperglycémie intermittentes. »
En plus, dans ses antécédents familiaux, on trouve le diabète, des douleurs rhumatismales, un décès précoce et même un cancer du foie. Chez le patient atteint d’hémochromatose, le diabète apparaît tardivement. La survie est plus faible en cas de diabète, c’est donc un vrai signe de gravité.
En pratique, le bilan fer quand on y pense est simple : il suffit de faire doser la saturation de la transferrine à jeun chez l’adulte à partir de 30 ans et à le répéter le dosage en cas de doute.
Les tests biologiques vont affirmer le diagnostic
La saturation de la transferrine ne doit pas dépasser 45 %. Elle est trop élevée à 60, 80 et même 100 %. C’est le signe formel du diagnostic si l’analyse est bien faite à jeun et renouvelée pour être sûr qu’il n’y a pas d’erreur.
Le taux de ferritine dans le sang, normalement à 300 µg/l, est supérieur à 1 000 selon la surcharge en fer. Si ces deux dosages sont élevés, il faut rechercher la ou les mutations du gène HFE : C282Y, homozygote ou C282Y/H63D hétérozygote.
L’état du malade impose un bilan en 5 actes selon le Pr Michel :
« 1) L’IRM pour apprécier la surcharge en fer du foie, toujours supérieure à 36 µmol/g.
2) La recherche d’un diabète sucré (glycémie).
3) La recherche de lésions osseuses (déminéralisation, lésions articulaires) par radiographie.
4) La recherche de lésions cardiaques (ECG, échocardiographie ou IRM).
5) Le dosage de la testostérone et, chez les femmes, des œstrogènes et progestérone. »
Vers un dépistage généralisé ?
Le dépistage actuellement est réalisé chez des personnes ayant des signes évocateurs et des antécédents familiaux. Vu la gravité de la maladie et sa fréquence, il faut proposer un dépistage plus large sans qu’il soit systématique.
Par exemple, réaliser le génotypage de l’épouse d’un patient homozygote C282Y plutôt que de dépister systématiquement les enfants. Le patient atteint doit être conseillé afin qu’il informe ses apparentés pour qu’ils réalisent un test de dépistage génétique. Rien n’est obligatoire cependant.
Pour le moment, bien que cette maladie réponde aux critères de l’OMS pour un dépistage systématique, celui-ci n’est pas réalisé. Seul le test génétique mettrait en évidence une prédisposition génétique à la maladie. Le dépistage serait d’autant plus justifié qu’un traitement préventif est facile à mettre en place et est efficace. Le diagnostic d’hémochromatose héréditaire est fait trop tard entre 50 et 70 ans.
Comme le dit le Pr Michel, c’est la phase des complications souvent irréversibles. Voici les signes qu’il décrit :
« La fatigue est devenue permanente, intense, d’où arrêt de l’activité professionnelle, invalidité et état dépressif.
Les lésions ostéo-articulaires sont graves chez 2/3 des patients, très douloureuses, mimant une polyarthrite rhumatoïde ou une pseudo-goutte. A la radiologie, on peut distinguer des aspects de chondrocalcinose, de déminéralisation osseuse. L’ostéoporose s’accroît avec la ménopause précoce.
L’atteinte hépatique est fréquente chez 70 % des malades. Les transaminases peuvent être modérément élevées (2 fois la normale). Le diagnostic de cirrhose doit être envisagé lorsque la ferritine est supérieure à 1 000 ng/ml, les plaquettes inférieures à 100 000. L’alcoolisme, surajouté, multiplie par 9 la fréquence de la cirrhose.
Le cancer du foie, l’hépatocarcinome, survient dans 10 % des cas sur cirrhose. Une surveillance tous les 6 mois par le marqueur du cancer du foie, l’alpha-foeto-protéine et l’échographie hépatique sont recommandés.
Le diabète sucré survient chez 40 à 60 %, souvent insulinodépendant. La destruction des cellules bêta du pancréas par le fer diminue la sécrétion d’insuline de façon irréversible. L’insulino-résistance due à la cirrhose hépatique aggrave encore le diabète.
L’atteinte cardiaque s’observe chez 15 % des malades. L’importance du dépôt de fer dans le muscle cardiaque conditionne les troubles du rythme (fibrillation auriculaire, flutter), jusqu’à la cardiomyopathie dilatée avec insuffisance cardiaque souvent mortelle.
La mélanodermie (la peau est bronzée) est présente chez 90 % des malades. L’hyperpigmentation gris verdâtre est due à la stimulation de la mélanogenèse dans la couche basale de l’épiderme par l’hémosidérine. Il existe des déformations des ongles, une diminution de la pilosité, une finesse de la peau et des signes cutanés d’insuffisance hépatique (angiomes).
Parmi les autres désordres endocriniens, l’accumulation de fer dans l’antéhypophyse diminue la sécrétion de FSH et LH avec comme conséquence un hypogonadisme. Chez l’homme, l’impuissance sexuelle et l’atrophie testiculaire s’associent à une diminution de la testostérone. Chez la femme, le déficit hormonal peut provoquer une ménopause précoce vers 40 ans. »
Le traitement se résume à l’antique saignée. Le traitement précoce prévient les complications et la surmortalité.
Appliqué depuis 1947, il est simple, efficace, bien toléré, peu coûteux.
Pour le Pr Michel, il comporte deux phases. Ne jamais faire la saignée à jeun, seulement après les repas.
Le traitement d’attaque pour éliminer la surcharge en fer.
Il consiste en saignées hebdomadaires de 400 à 500 ml en fonction de la surcharge en fer. La soustraction des globules rouges, riches en fer, est de 200 à 250 mg et oblige l’organisme à puiser dans les réserves de fer pour former de nouveaux globules rouges dans la moelle osseuse. La tolérance est excellente. L’efficacité du traitement est évaluée par la surveillance de la ferritinémie et la tolérance biologique par le taux d’hémoglobine qui doit rester supérieur à 11 g/dl. L’objectif est d’obtenir une ferritinémie à 100 ng/ml.
Le traitement d’entretien pour éviter la ré-accumulation du fer.
Le traitement par saignées doit être poursuivi pour maintenir la ferritinémie aux environs de 100 ng/ml. L’efficacité est d’autant plus spectaculaire que le traitement est précoce (30-35 ans). L’asthénie, la mélanodermie, les troubles cardiaques peuvent s’atténuer. En revanche, les douleurs articulaires et le diabète disparaissent plus difficilement lorsqu’ils sont installés. En 25 ou 30 saignées (chaque saignée de 500 ml enlève 250 mg de fer), on désature le patient du fer en excès et son espérance de vie est normale. Une à deux saignées par an ensuite sont suffisantes.
Au stade de cirrhose décompensée, avec hépatocarcinome, la transplantation hépatique est le seul traitement efficace de l’hémochromatose héréditaire après avoir tenté le traitement par cryocoagulation, radio-fréquence, embolisation.
L’alimentation doit comporter moins de viandes rouges et charcuterie ; une fois par semaine est suffisante. Il faut évidemment supprimer le tabac et les alcools forts, garder un verre de bon vin à la fin de chaque repas s’il n’y pas de cirrhose. On évitera de prendre du fer ou de la vitamine C sous forme pharmaceutique. Il est recommandé de boire du thé, deux bols par jour, mais sans ajouter du citron du fait qu’il contient de la vitamine C ( 50 mg/100 g).
La découverte de l’hepcidine constitue un espoir thérapeutique majeur. Nul doute que les chercheurs parviendront à la synthétiser.
Concluons avec le Pr Michel :
L’hémochromatose héréditaire ou génétique est une maladie grave dont le diagnostic précoce et le traitement par saignées permettent d’éviter l’évolution vers des complications irréversibles. Une meilleure connaissance des premiers signes d’appel ou, mieux, la réalisation systématique d’un coefficient de saturation de la transferrine chez tous les sujets jeunes, permettrait un diagnostic précoce, une espérance de vie normale et des économies financières importantes.
(ASSOCIATION HEMOCHROMATOSE France – BP 57118 – 30912 NIMES CEDEX 2 – Tél. : 04 66 64 52 22 – Fax : 04 66 62 93 87)
Bien à vous, Professeur Henri Joyeux.
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